Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas de vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encore de vos derniers baisers;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
PAUL VERLAINE
Il est parti sans rien demander; il n'a rien pris dans ses valises.
Il a laissé son passé derrière lui et il a pris le premier avion en partance pour Tombouctou
Là, il a erré dans le désert avec pour seul compagnon un chameau
et pour seul bagage une outre d'eau.
Les jours ont passé et quand le chameau a perdu sa bosse
et qu'il n'a plus eu d'eau, il est revenu et il ne souvenait plus de rien.
Il avait oublié ses éternelles obligations, ses sentiments et son fichu sens de l'honneur.
Il a pu rebattre les cartes car il n'était plus si intransigeant vis à vis de lui-même et des autres.
Il a changé de métier, de maison et de femme
et il s'est mis à faire ce qu'il aimait le plus au monde:
c'est-à-dire rien !
Nous avions quitté le rivage à la tombée de la nuit et il n' y avait plus que la lune pour nous éclairer faiblement.
La plupart des gens dormaient mais certains n' arrivaient pas à trouver le sommeil.
Ils se remémoraient l' enchainement des évènements qui les avaient menés jusque-là.
Ils revoyaient les paysages calmes de leur enfance et les sourires de ceux qu' ils venaient de quitter pour toujours.
Autrefois frères, ils étaient devenus ennemis.
Le bonheur des jours heureux s' éloignait peu à peu.
Nous avions tout laissé derrière nous et la mer devenait notre nouvelle patrie.
Une femme pleurait silencieusement.
Un enfant s' est réveillé et a demandé à sortir: on lui a dit que ce n' était pas possible.
Pour nous non plus il n' y avait plus de sortie possible.
Il n' y aurait plus désormais d' oasis avec leurs eaux ruisselantes, plus de dattes fraiches cueillies du matin, plus de palmiers pour tamiser la lumière du soleil...
On n' osait pas y penser pas plus qu' à autre chose.
On se concentrait sur le mouvement du bateau pour éviter le mal de mer.
On était trop malade pour continuer à vivre!
Pierre Bonnard: nu à contre-jour.
Les teintes sont pastels et les motifs à peine esquissés. Seuls le corps de la femme et le sol sur lequel elle repose sont d' une couleur franche. De sombre il n' y a guère que le baquet gris, les cheveux de la femme et son ombre portée sur le sol et dans la glace. Les rideaux sont là pour filtrer la lumière et ne rien laisser passer à l' extérieur. Cette femme est face à elle-même et n'attend rien des autres.
Edward Hopper
Un rectangle sur fond noir. Une cour ou une véranda.
Sur les murs en planches une porte verte et deux fenêtres. L' une avec un store et un rideau.
Un muret de pierre sur lequel s' appuient deux personnages: un homme et une femme.
Lui est vêtu d'un tee-shirt bleu et d' un pantalon kaki. Elle porte une jupette et un haut rose.
Ses ballerines sont bleues, les chaussettes de l' homme aussi.
Tous deux sont blonds.